NETFLIX – Kai Po Che ! d’Abhishek Kapoor : et un acteur fut

Posté le 22 juin 2021 par

Le 14 juin 2020, le suicide de l’acteur Sushant Singh Rajput à l’âge de 34 ans bouleversait tout Bollywood. Sans connexion avec le milieu du cinéma, le jeune homme avait réussi à se faire une place sur le grand écran dans des rôles acclamés de héros sportifs ou romantiques. Le film qui a lancé sa carrière en 2013 Kai Po Che ! est disponible sur Netflix.

2010. Omi (Amit Sadh) sort de prison. À l’extérieur l’attend Govi (Rajkummar Rao), un homme d’affaires accompli. Les deux amis montent en voiture. Sur la route, ils s’arrêtent manger dans un petit café. Un match de cricket, véritable sport national en Inde, est diffusé à la télévision. Omi replonge dix ans en arrière. 

2000. Avec ses amis Govi et Ishaan (Sushant Singh Rajput), Omi décide de monter une académie pour jeunes sportifs dans la ville d’Ahmedabad, capitale de l’État du Gujarat. Tout semble pourtant les opposer : Ishaan est habité par sa passion du cricket mais est toujours amer de ne pas avoir eu l’opportunité de faire carrière. Sanguin et colérique, il n’hésite pas à se battre au moindre ennui. Omi est un jeune homme un peu perdu, qui va se retrouver malgré lui enrôlé en politique dans un parti nationaliste hindou pour payer ses dettes. Govi est la tête pensante du groupe, mais obsédé par les chiffres et son rêve, il ne voit pas les engrenages dans lesquels sont entraînés ses amis. Entre violences inter-religieuses et catastrophes naturelles, leur fraternité peut-elle tout surmonter ?

Adapté du best-seller Les Trois erreurs de ma vie (2008), du prolifique auteur contemporain Chetan Baghat, Kai Po Che ! est avant tout un film sur les rêves brisés de gens ordinaires. Il n’y a pas de héros, ni de valeureuse cause : les protagonistes sont seuls et impuissants face aux événements.

En gujarati, « kai po che » signifie littéralement « j’ai coupé ». Il s’agit d’un cri de victoire poussé lors du festival religieux d’Uttarayan par les vainqueurs des renommées batailles de cerfs-volants de la région. C’est aussi le cri poussé par Ali (Digvijay Deshmukh), un jeune prodige musulman du cricket, lorsqu’il réussit à couper le fil du cerf-volant de son adversaire, encouragé par son mentor Ishaan. 

Le personnage d’Ishaan est interprété par Sushant Singh Rajput pour son premier rôle au cinéma, après des passages remarqués dans des soap-opéras télévisés. Nominé pour le Filmfare Award du meilleur espoir masculin, l’acteur s’impose comme la révélation du film. Soutenu par les performances de ses deux co-stars plus expérimentées, il réussit à faire preuve d’un jeu honnête et sensible. Il excelle particulièrement lors des accès de colère de son personnage, qui laissent éclater une palette d’émotions maîtrisées et sans fioritures, allant jusqu’à parfois faire froid dans le dos. Sushant Singh Rajput n’essaie pas de faire d’Ishaan un être parfait, il lui insuffle au contraire toute son humanité en appuyant sur ses faiblesses et ses contradictions. Admiratif de son professionnalisme et de sa présence à l’écran, le réalisateur Abhishek Kapoor le fera d’ailleurs de nouveau tourner en 2018 dans la romance Kedarnath, aux côtés de la jeune débutante Sara Ali Khan.

Abhishek Kapoor est réputé pour ses choix de scénario et sa façon de filmer réaliste, nerveuse mais léchée. Dans Kai Po Che ! la caméra ne privilégie aucun des trois personnages : le réalisateur prend le temps de s’arrêter sur ses acteurs.  Lors des scènes de groupe, les plans se multiplient et s’entremêlent pour laisser à chacun sa place. Si les événements se déroulant dans le passé accordent une large place à la couleur, aux dialogues vifs et aux corps, ceux du présent montrent des visages silencieux, filmés au plus près dans une ambiance assombrie qui ne s’illuminera de nouveau qu’à la toute fin – un choix qu’on peut regretter néanmoins un peu mièvre. 

Il n’y a pas de traditionnelles séquences musicales, même si le réalisateur y glisse plusieurs clins d’œil. Trois chansons sont disséminées tout au long du film en arrière-plan pour appuyer l’état d’esprit enthousiaste des personnages. Elles sont innocentes et candides : elles célèbrent l’amitié des trois garçons, leurs victoires, leurs aventures, leurs amours. Lors des scènes dramatiques, elles disparaissent et la musique, plus minimaliste, n’est là que pour soutenir le suspens et l’émotion.

Si Abhishek Kapoor, avec ces méthodes, se rapproche du cinéma parallèle indien, porté entre autre à l’époque par des réalisateurs et réalisatrices comme Rituparno Gosh ou Anurag Kashyap, il ne l’atteint pas tout à fait. En cause, une certaine frilosité politique. Malgré un climax intéressant, qui met en scène les pogroms contre les musulmans menés au Gujarat en 2002 par des nationalistes hindous, il n’y a presque aucun parti pris. Le film est pourtant sorti un an avant l’accès au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi, alors ministre en chef de l’État du Gujarat et accusé à l’époque d’avoir attisé les violences religieuses.

Kai Po Che ! reste donc malheureusement en surface. Malgré une menace politique omniprésente en arrière-fond, les trois personnages principaux restent obnubilés par leurs propres vies, leurs amours et leurs amitiés. Tout au long du film, Ishaan n’essaie pas d’aider et de protéger le jeune Ali parce qu’il est musulman, mais parce qu’il voit en lui le futur joueur international de cricket qu’il ne sera jamais. Quand il se bat avec Omi afin d’aider Ali et sa famille après un séisme, est-ce vraiment parce qu’il est en profond désaccord moral avec son ami, qui refuse de s’occuper des victimes musulmanes ? Ou cherche-t-il surtout à protéger son investissement ? Abhishek Kapoor ne s’embarrasse pas d’une analyse des motivations de cette classe moyenne du Gujarat, qui représentait déjà pourtant à l’époque un soutien majeur du futur Premier ministre Narendra Modi et de sa politique nationaliste. Dans Kai Po Che ! les protagonistes subissent les événements, mais n’en sont jamais véritablement acteurs et ne cherchent pas à l’être.

On saluera toutefois les performances impeccables de Sushant Singh Rajput, Rajkummar Rao et Amit Sadh, qui malgré leur peu d’expérience au cinéma, instillent une véritable profondeur à leurs personnages et s’affirmaient déjà en 2013 comme le futur de l’industrie hindi. 

Audrey Dugast

Kai Po Che ! d’Abhishek Kapoor. Inde. 2013. Disponible sur Netflix. 

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