EN SALLES – Au travers des oliviers d’Abbas Kiarostami (en salles le 02/06/2021)

Posté le 4 juin 2021 par

Près de 5 ans après la disparition d’Abbas Kiarostami, Mk2 Films et Carlotta Films organisent une rétrospective qui rend hommage à ce créateur majeur, visionnaire et espiègle. Chefs-d’œuvre de sa carrière de cinéaste et trésors inédits en version restaurée sont montrés pour la première fois au public français à partir du 2 juin 2021. On poursuit notre voyage avec Au travers des oliviers.

Sur le plateau du film « Et la vie continue » qui a lieu dans le nord de l’Iran, dans une localité récemment dévastée par un séisme, le réalisateur éprouve quelque difficultés pour une scène avec ses interprètes non professionnels, des habitants de la région. Son acteur principal, Hossein, est amoureux de la fille à qui il donne la réplique, Tahereh. Cette dernière refuse de lui adresser la parole, mettant ainsi dans l’embarras l’équipe de tournage.

Avec Au travers des oliviersAbbas Kiarostami poursuit son idée de mise en abyme qu’il a initiée dans son précédent opus : dans Et la vie continue, le personnage principal est un réalisateur qui recherche les interprètes de Où est la maison de mon ami ?. Dans ce nouveau film, c’est Et la vie continue qui est le film dans le film. Kiarostami a pensé à tout : l’acteur qui joue le réalisateur dans le second opus est à nouveau présent… pour jouer ce rôle d’acteur interprétant un réalisateur. Le nouveau réalisateur annonce d’emblée, dans la première image du film, qu’il est un acteur qui joue un réalisateur et que les autres acteurs sont non professionnels. Kiarostami joue constamment avec ce va-et-vient entre la fiction surnageante et la fiction profonde. Ultimement, il se joue de nous lorsque Hossein arrive sur le plateau du film dans le film et que le réalisateur… n’est autre qu’Abbas Kiarostami lui-même, faisant fi de l’acteur censé composer le cinéaste. On comprend alors, même si c’est assez évident, que tous les personnages de réalisateurs dans la trilogie de Koker sont la figure de Kiarostami, l’incarnation de l’artiste démiurge, maître sur le plateau de cinéma. De film en film, il s’attarde sur ses personnages issus de la réalité – on retrouve d’ailleurs les deux petits garçons de Où est la maison de mon ami ? dans Au travers des oliviers, alors que leur présence était fantomatique dans Et la vie continue – et achève d’établir son intention, celle d’un cinéma qui magnifie la réalité, qui fait confiance à des inconnus pour atteindre un absolu cinématographique et qui met donc, au centre, la direction d’acteur.

Passée cette mise en place, l’intrigue s’attarde sur Hossein et Tahereh. Ces deux personnages étaient bien présents dans le film précédent et comme l’on peut s’en douter, Kiarostami a puisé dans le réel pour le sujet de Au travers des oliviers. L’histoire de Hossein, le personnage, est celle de Hossein l’acteur, et le synopsis du film est une anecdote de tournage de Et la vie continueKiarostami se sert de tout ce qu’il a construit dans ce décor de Koker et de Poshteh, des liens qu’il a tissés avec ses acteur professionnels et non professionnels pour prolonger son propos sur la communication entre les êtres humains, un grand classique des sujets du cinéma et qui sous la caméra de Kiarostami, devient une matière complexe dédiée à la théorisation de l’art cinématographique. Kiarostami a beaucoup travaillé avec Hossein en amont, pourrait-on dire qu’il l’a manipulé, afin de faire ressortir dans sa bouche un discours bien loin de celui que pourrait réciter un acteur professionnel, des connaissances prémâchées qu’il aurait obtenues de son apprentissage des cours d’art dramatique. Hossein parle énormément, puisqu’il fait le contrepoint avec sa dulcinée qui restera mutique tout le long de l’intrigue. La séquence de la fameuse scène où Tahereh refuse de lui donner la réplique est d’une complexité remarquable. Kiarostami nous montre le personnage du réalisateur filmer ces prises, l’une après l’autre, dans leur entièreté. Outre la propension de ces images à nous apprendre comment se fait un film, la répétition de ce motif permet de creuser la psyché des personnages. Hossein parle entre les prises à Tahereh et sa personnalité se révèle admirable d’épaisseur. Tahereh demeure totalement impénétrable, et nous offre une belle question : un personnage peut-il s’abstenir de se livrer et si oui, à quel point ? En outre, la répétition des séquences teste une fois de plus la capacité du spectateur à appréhender la contemplation, car tout y est brut, le cadre tout comme le déroulé temporel. Une fois l’ennui contré, le spectateur est comme libéré et hanté par ce qui est une obsession cinématographique.

Le film se termine sur Hossein qui suit Tahereh déambulant dans la nature, « au travers des oliviers », pour essayer de la convaincre de l’épouser. Il poursuit son long discours, elle continue de se fermer. La dernière image du film, laissant en suspend certains questionnements, montre nos deux personnages traversant un décor digne d’une peinture persane.

Maxime Bauer.

Au travers des oliviers d’Abbas Kiarostami. Iran. 1994. En salles le 02/06/2021.

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