DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN ET YANGYU ZHANG – Chapitre 25 : KitAnno

Posté le 29 avril 2021 par

Stephen Sarrazin et Yangyu Zhang présentent dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Ils évoquent ici Kitano Takeshi et Anno Hideaki à travers les deux documentaires qui leur sont consacrés.

Le hasard des calendriers internationaux de diffusion fit qu’en ce printemps 2021, Arte présentait un portrait de Kitano Takeshi, Citizen K., signé Yves Montmayeur, tandis que la chaîne publique NHK au Japon pouvait enfin livrer, dans le cadre de sa série Professionals, un documentaire sur Anno Hideaki, le créateur de Neon Genesis Evangelion.

Il faut souligner que NHK, tout en faisant un bref détour sur la carrière d’Anno – la longue complicité avec le Studio Ghibli et Miyazaki Hayao, de Nausicaä de la Vallée du Vent au Vent se lève, dans lequel il était la voix du personnage principal, Jiro Horikoshi, à des courts-métrages pour le Musée Ghibli en collaboration avec Miyazaki ; mais également son rôle de co-fondateur du Studio Gainax en 1984 -, passait près de quatre années à suivre exclusivement le développement du dernier volet cinématographique d’Evangelion sorti en mars dernier à Tokyo.

Une histoire du cinéma japonais contemporain s’incarne dans le parcours de ces deux cinéastes dont l’œuvre a depuis longtemps franchi les frontières, une histoire qui a commencé dans les années 90 et dont le passage du temps a laissé davantage de séquelles sur Kitano que sur Anno.

Yves Montmayeur s’appuie sur le modèle bien établi d’un cinéaste à deux visages, l’homme de la télévision et du divertissement, et le réalisateur primé à deux reprises à Venise. Kitano n’a pas cherché à bousculer ces repères. Il demeure omniprésent dans le champ des médias japonais, de la presse écrite à la publicité aux émissions de variétés, ceux qui sont passés à côté du numérique et des réseaux sociaux. La narration rappelle également une carrière cinématographique en deux mouvements, celui des réussites de la première décennie, de Violent Cop à Hana-Bi, et l’autre, dans lequel Kitano tournait le dos au genre yakuza qu’il avait contribué à réinventer, afin de passer d’une expérience à l’autre, y compris un remake du célèbre Zatoichi et une trilogie de films dans lesquels Kitano s’interrogeait sur son image d’artiste et tentait de régler quelques comptes avec le cinéma, y compris avec le concours de Hasumi Shigehiko, professeur et critique de cinéma vénéré par la génération de Kurosawa Kiyoshi. Cette même période avait donné lieu à une exposition de tableaux et d’objets peints et créés par Kitano, à la Fondation Cartier à Paris ; on peine depuis à trouver une autre structure ayant fait un accueil semblable à cette part du travail du cinéaste. Enfin, le retour au film de gangster avec Outrage est rapidement évoqué. Quelques figures marquantes de son histoire viennent témoigner, dont Kashimoto Kayoko, son épouse dans Hana-Bi, ou encore le réalisateur Shinozaki Makoto, présenté ici comme ‘critique de cinéma’, ce qu’il fut, notamment pour l’édition japonaise des Cahiers du Cinéma, mais qui tourna un making of de L’été de Kikujiro après avoir réalisé un merveilleux premier long-métrage, Okaeri, avec Terajima Susumu, acteur qui fut de tous les plus grands films de Kitano et qui est absent, comme bien d’autres figures d’Office Kitano, la maison de production du cinéaste, véritable sujet tabou de ce portrait. Et pour souligner ce manque, c’est au réalisateur Jia Zhang-ke de témoigner de l’importance de l’œuvre de Kitano sur la scène internationale, y compris en Chine. Office Kitano fut producteur ou co-producteur de nombreux films de Jia et contribua à en faire un habitué du festival Tokyo FilmEx.

Sa longévité à la télévision donne lieu, à l’image hétéroclite de ses émissions, à d’étonnantes interventions, dont celle de Koike Yuriko, maire de Tokyo, qui avoue que bien que Kitano ait contribué à exprimer une colère, une rage contre le système, à travers des formes populaires de télévision, des jeux à la variété, elle n’aurait pas aimé l’avoir comme grand frère, un terme au Japon habité par mille sous-entendus. Pourtant celle qui laisse le plus perplexe nous est livré par Zomahoun Rufin, de l’ambassade du Bénin à Tokyo et présence fréquente dans les émissions de Kitano. Il lui attribue des qualités proches du divin, et lorsque ce portrait touche à sa fin, après quelques propos entre Kitano et Mme Koike, le cinéaste se dirige vers la sortie d’un immeuble, où l’attend son chauffeur et sa Rolls blanche. Rufin apparaît soudainement dans le plan, lui aussi tout de blanc vêtu, et se livre à un ojigi cérémonieux, ne se relevant qu’une fois fermée la porte de la Rolls. Koike Yuriko aura été la voix d’une femme qui incarne une autre forme de pouvoir face à celui de Kitano. Mais la femme derrière la fin d’Office Kitano et d’un tournant dans la carrière, et la vie, du réalisateur, restera sans voix.

 

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Alors que la voix du narrateur dans le portrait de Kitano se fait complice et assurée, celle de la NHK est feutrée et révérencielle ; chaque instant porte cette crainte de déranger Anno Hideaki.

A l’opposé de Kitano, Anno semble taillé d’un seul bloc et incarne la transcendance de l’otaku.

La règle de la série Professionals tient à démontrer pourquoi le sujet choisi représente une notion de professionnalisme dans le champ qu’elle/il exerce, et ce documentaire ne s’éloigne jamais d’une équipe entièrement dévouée à  Anno et qui l’entoure du travail aux repas. Citizen K. ne montre jamais Kitano détendu, hormis les blagues pendant les tournages ; on ne le voit jamais dînant avec des amis, des collègues. Anno semble aimer boire et manger presque autant que travailler. On le voit avec son équipe dans des izakaya, commandant des plats, des boissons, et lorsqu’il travaille seul, ou avec une seule collaboratrice, c’est avec un sac de croustilles qu’il videra, les miettes tombant sur son hoodie, ses jeans, au sol… Suzuki Toshio intervient pour dire que Anno est un extraterrestre ; Higuchi Shinji (L’Attaque des Titans), co-réalisateur de l’immense succès Shin Gojira, et du prochain Utraman, confie que son collègue ne triche jamais et vit avec son œuvre, rejoignant le propos du manga Insufficient Direction, écrit par Anno Moyoko, l’épouse du réalisateur.

NHK nous le montre prenant le métro, et lorsqu’une voiture vient le chercher, c’est une mini-cooper BM ; le luxe selon Anno tient au temps pris pour mener son film à terme et à la complicité discrète qu’il témoigne à ses collaborateurs. Il répond aux questions de NHK par un mouvement de tête, deux ou trois mots qui mettent du temps à être prononcés. Un personnage dans la réserve qui a néanmoins radicalisé la part féministe de l’héroïne anime, qui n’a jamais ‘freiné’ leur parole. D’ailleurs, le dernier volet du documentaire, le seul dans lequel on voit Anno enfin sourire, nous montre les retrouvailles avec les voice actors de Evangelion, notamment Asuka et Misato, s’étendant sur la méthode de Anno pour les diriger et le bonheur de trouver ce ton, et ce volume qu’il espère. Aucun membre de Khara Inc., la société fondée par Anno, n’ose cependant parler pour le réalisateur, personne dans l’équipe ne s’avance à interpréter ce retour des EVA ; on ne revient pas sur l’état de dépression profond et sévère que traversa Anno dans les années 90 et qui devait nourrir tant de conflits et d’angoisses chez ses personnages et faire de ses robots des assassins qui jubilent et dont le cri vaut pour un état de frustration que tant de créateurs ont connu au Japon dans le milieu de l’anime.

Anno ne livre rien sur son film. Cet épisode se termine avec l’annonce de la sortie annoncée de Evangelion: 3.0+1.0 Thrice Upon a Time, quatrième et dernier film de cette franchise, et les remerciements du réalisateur à l’équipe de NHK. Kitano Takeshi a pour l’instant signé trois Outrage et l’annonce d’un quatrième ne susciterait pas le même enthousiasme.

Stephen Sarrazin.

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