Kinotayo – Entretien avec Ogigami Naoko (Close Knit)

Posté le 2 décembre 2017 par

C’est à la 12ème édition du Festival du Cinéma japonais contemporain Kinotayo qu’Ogigami Naoko a pu présenter son nouveau film, Close Knit. L’occasion de tisser une conversation avec la réalisatrice de Megane.

Ogigami Naoko nous parle avec Close Knit une nouvelle fois de personnages en marge, qui se rassemblent et tirent de leur différence une force dépassant les jugements expéditifs émis par la société moderne encore aujourd’hui. Les thèmes abordés sont on ne peut plus actuels et souvent traités dans le cinéma d’auteur japonais mais la cinéaste se distingue grâce à la douceur avec laquelle elle embrase le parcours de Rinko. Il s’en dégage une aura réconfortante qui donne envie d’en savoir plus sur la vision de Ogigami Naoko.

Nicolas Lemerle.

Votre dernier film, Rent A Cat, date de 2012. Pourquoi vous a-t-il fallu 5 ans pour faire ce film ?

Lors du tournage de Rent A Cat, j’étais enceinte de trois mois. J’ai accouché juste après la projection du film. C’est l’une des grandes raisons pour laquelle j’ai arrêté le cinéma pendant quelque temps. J’ai quand même pu écrire des scénarios pendant cette période, mais il a été très compliqué de les faire accepter par un producteur. Je passais deux mois à travailler, et mon script était refusé en 2 secondes. La situation s’est reproduite plusieurs fois et j’étais vraiment dans une impasse. Réussir à faire ce film et le projeter est donc un événement très spécial dans ma carrière de réalisatrice et je considère que c’est un grand pas pour moi. Cette production a donc été un grand défi pour moi.

Pour quelles raisons ces projets étaient-ils refusés ?

Principalement pour des raisons économiques, mais les sujets que je proposais n’intéressaient pas les producteurs.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la transsexualité avec Close Knit ?  

Au Japon, il y a beaucoup de comédiens transgenres qui sont très populaires, notamment parmi les comiques, qui sont très appréciés des spectateurs. En revanche, les personnes transgenres connaissent beaucoup de difficultés dans la vie quotidienne et sont souvent mal acceptées par leur famille et leur voisinage. Mais quand j’ai fait mes études aux États-Unis, je côtoyais une communauté transgenre beaucoup plus intégrée. J’ai donc été frappée par cet écart entre la situation des personnes transgenres aux Etats-Unis et au Japon. C’est pourquoi je voulais traiter de ce sujet.

Au-delà de ce sujet, peut-on dire que Close Knit est aussi un film sur ce que signifie être mère dans la société japonaise actuelle ?

Oui, la thématique transgenre est le point de départ qui m’a donné envie de faire ce film, mais ce n’est pas non plus un film sur la recherche d’une identité transgenre. Rinko, le personnage transgenre du film, a déjà actualisé cela : elle a été acceptée par sa mère et elle a trouvé le bon partenaire. Elle a déjà dépassé beaucoup d’obstacles et en est à un moment de sa vie où elle souhaite être mère, avoir des enfants. Je montre aussi plusieurs mères dans ce film, où je voulais dessiner plusieurs types de relations entre une mère et ses enfants.

Vous insistez beaucoup sur l’humour du film. Pourquoi est-ce important pour vous d’avoir cette tonalité face à des thématiques plus graves ?

Close Knit est mon 7ème film et comme les précédents, j’ai voulu y mettre beaucoup d’humour. Lorsque je faisais mes études aux Etats-Unis, beaucoup de gens riaient à la lecture de mes scénarios. J’ai donc compris que mon humour était compréhensible pour les gens d’autres pays que le Japon. Je tenais à ce côté universel de mes films et c’est sans doute ce qui fait mon originalité. Ici aussi, j’ai donc mis beaucoup d’humour à ma façon dans mon film lors de l’écrire. Malgré les sujets difficiles abordés, je souhaite que le spectateur rie et s’amuse beaucoup.

Une autre caractéristique de votre cinéma est l’importance accordée à la nourriture, y compris dans ce film-ci, avec les scènes de bento. Pourquoi lui donner cette place centrale ?

Comme dans mes autres films, je m’attache particulièrement à dessiner la vie quotidienne. On n’y trouve pas d’explosions ou d’intrigues criminelles. Pour décrire le quotidien, les scènes de nourritures apparaissent régulièrement, ne serait-ce que parce que l’on mange 3 fois par jour. Je n’accorde pas d’importance particulière aux scènes de nourriture, mais elles apparaissent souvent de manière naturelle pour décrire la vie quotidienne avec détails. Par rapport au bento, quand mes filles en ont besoin, je les fais moi-même. Au Japon, tous les parents essaient de faire les bentos les plus « kawaii » possibles pour leurs enfants, c’est une spécificité culturelle. Je pense que le « manger ensemble » et le « boire ensemble » est le meilleur moyen pour rétrécir la distance avec les autres et se rapprocher d’eux, y compris avec des gens que l’on ne connait pas. C’est quelque chose de commun dans le monde entier que j’aime bien décrire.

Lors de la présentation du film, vous avez dit à propos du choix de Ikuta Tôma, que vous cherchiez « un beau garçon pour incarner une belle femme ». Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui et cherchiez-vous nécessairement un homme pour incarner le rôle plutôt qu’une femme ou une actrice transgenre ?

C’est intéressant…  (elle réfléchit) Pour ce personnage, dont l’esprit est celui d’une femme, j’ai pensé à un acteur qui pouvait jouer une femme.

Récemment, Fanny Ardent a par exemple interprété en France un personnage transgenre dans Lola Pater. Avez-vous vu d’autres films avec des personnages transgenres pour écrire le film ?

Je ne voulais pas regarder beaucoup de films sur le sujet pour éviter d’être trop influencée. Mais pour voir comment les acteurs pouvaient jouer leurs personnages, j’ai vu quelques films, comme par exemple Transamerica, dont c’est aussi une actrice qui joue le personnage transgenre. J’ai aussi vu Tout sur ma mère de Pedro Almodovar… et le film canadien…

Laurence Anyways ?

Oui, oui !

Nous demandons à chaque cinéaste que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

Ce sont trois films que j’aime beaucoup, mais je vais choisir une scène de Transamerica, quand le personnage doit uriner au début du film. C’est très réaliste et j’ai beaucoup ressenti le talent de l’actrice à ce moment-là.

Je crois que vous avez déjà un film en préparation ?

Oui, j’ai déjà terminé un scénario et je recherche maintenant des financements et des acteurs pour un tournage qui aura lieu l’été prochain. Si tout va bien, je serai présente avec le film à la prochaine édition de Kinotayo ! C’est un film sur les cendres qui restent après les cérémonies funéraires.

 

Propos recueillis par Victor Lopez à Paris le 20/11/2017.

Photos : DR Kinotayo.

Traduction : Keiko Masuda.

Remerciements : Megumi Kobayashi, Paul Mattiuzzo.

Close Knit de Ogigami Naoko. Japon. 2017. 

Présenté à la 12ème édition du Festival du cinéma japonais contemporain Kinotayo. Plus d’informations ici.

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