Festival de Cannes 2013 : le bilan

Posté le 7 juin 2013 par

 Après avoir récupéré de la folie cannoise, il est temps de livrer un bilan de cette 66ème édition du Festival de Cannes. Par Jérémy Coifman.

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Voilà, c’est fini. On range les accréditations, on oublie les files d’attentes, l’effervescence. Le jury du festival de Cannes a livré son verdict sous la présidence du grandissime Steven Spielberg. Un palmarès qui a fait l’unanimité, ou presque (Eric Neuhoff me souffle dans l’oreillette que cette Palme est une honte).

L’Asie à l’honneur

Cette année à Cannes, East Asia était gâté. Beaucoup de films asiatiques étaient présents dans toutes les compétitions, des grands auteurs (Jia Zhangke, Kore-Eda Hirokazu, Miike Takashi, Lav Diaz) étaient à l’honneur. On n’a pas boudé notre plaisir. Presque 20 films asiatiques sur la Croisette cette année, sans compter le Marché du Film, terre d’opportunité (de voir des films). Evidemment, nous avons raté la Palme d’Or du court métrage (Safe de Moon Byoung-Gon), et Ilo Ilo d’Anthony Chen, Caméra d’Or. A la remise des prix, on le sentait fort, les deux seuls films asiatiques que nous avions ratés  (surtout à cause des horaires et des files d’attentes) allaient être primés, et ça n’a pas manqué. Coup du sort amusant ou rappel à l’ordre des dieux (pourtant selon Yannik Vanesse, « Only The Gods Forgive »), en tout cas, ces deux films vont rester comme deux actes manqués. Safe est visible sur le net, et Ilo Ilo au Forum des Images. L’hérésie sera-t-elle pardonnée ? Surtout que le court-métrage de Moon marque la seule présence d’un cinéma coréen complètement mis de côté, marquant plus l’absence des grands auteurs (Bong Jong-Ho, Hong Sang-Soo, qu’on aurait pu voir en compétition) qu’un réel désintérêt.

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De cette forte présence asiatique (on y ajoute Only God Forgives de Nicolas Winding Refn et Le Passé d’Asghar Farhadi qui entrent dans notre ligne éditoriale), en découlent des prix, et c’est la grosse satisfaction de cette 66ème édition. L’Asie se partage quatre prix, sans compter l’interprétation de Bérénice Béjo dans le film d’Asghar Farhadi. Jia ZhangKe pour son sublime A Touch of Sin repart avec le prix du scénario (même si on le voyait bien avoir mieux), Kore-Eda Hirokazu avec le prix du Jury pour son délicat Like Father, Like Son. Ce  sont les grands gagnants asiatiques de la compétition officielle. Au-delà d’un plaisir qu’on pourra qualifier de « chauvinisme eastasien », force est de constater que les deux films méritaient de repartir avec un petit quelque chose tant ils marquent par leur force, leur pertinence et leur finesse. On aurait bien inversé les deux prix, le scénario du Kore-Eda étant d’une finesse absolue, mais on ne va pas faire la fine bouche. C’est une bonne année.

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Car au-delà des récompenses, il y a la qualité intrinsèque et de ce côté-là il n’y a que peu de déceptions. Seul Shield of Straw de Miike Takashi, semblait être une erreur de casting. Pendant et après le visionnage, le film paraissait comme un Petit Poucet perdu au milieu des grands. On se demande si sa sélection ne repose pas uniquement sur l’auteur plutôt que sur la qualité du film, qui s’est fait grassement huer à la fin de la projection. On a même eu le droit à un joli « retourne vendre des sushis », de la part d’un festivalier (espérons que ce ne soit pas quelqu’un de la presse, ce serait encore pire). Le film, aussi raté et moralement douteux soit-il, ne méritait peut-être pas d’être autant décrié. Shield of Straw est un film de commande, un blockbuster d’action japonais. Sa grande tare est d’avoir été visionné dans les mauvaises conditions. Ce n’est clairement pas un film pouvant assurer dans la compétition officielle du festival de Cannes. C’est un film qu’on regarde en DVD un samedi soir, et qui remplit son office en tant que tel. Une sélection, donc, qui porte plus préjudice au film que le contraire, tant les moqueries à son sujet ont été nombreuses.

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A passage to India

Cette année, on fêtait le centenaire du cinéma indien. On rendait hommage aux grands (Satyajit Ray notamment) et on mettait en lumière les jeunes pousses (Anurag Kashyap, Amit Kumar, Ritesh Batra). La principale volonté était de sortir le public occidental des préjugés que l’on a sur le cinéma indien et de montrer toute la vitalité d’un cinéma d’auteur en pleine expansion. De ce côté-là, nous avons été éblouis. Beaucoup de talent, d’audace, dans ce qui semble s’apparenter à une nouvelle vague indienne. Que ce soit dans Ugly (Kashyap), Monsoon Shoutout (Kumar) ou The Lunchbox (Batra), on trouve une énergie presque scorsesienne première période, une rage de filmer, une passion communicative, une émulation au sein même de ce petit cercle. Ces jeunes cinéastes n’ont pas peur de s’attaquer de front à un cinéma de genre que la France fuit depuis trop longtemps, ou qui le traite en s’enfermant dans des schémas archaïques.

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Deux polars et une comédie romantique, le lien avec le cinéma hollywoodien est évident. Les cinéastes ne s’en cachent pas, n’en n’ont pas honte, revendiquent leurs influences tout en s’appropriant le style et amenant leur patte visuel et tonale. De la rupture de ton tarantinesque (Ugly) à l’hommage à Nora Ephron (The Lunchbox), le cinéma hollywoodien irrigue les films, et les cinéastes, sans se cacher, mènent leur barque avec envie.

Hollywood est bien présent, mais ce n’est pas pour autant que ce cinéma-là oublie ses racines. L’Inde et son évolution sont la problématique majeure de ce nouveau cinéma indien. Sans les artifices bollywoodiens qui nous sont familiers, Kashyap, Kumar et Batra filment une Inde sale et grouillante, dangereuse aussi. La réalité sociale du pays n’est aucunement éludée et sert même le récit, apportant des idées de mises en scène, de scénario donnant en plus du caractère social et politique une vraie gueule d’atmosphère. Ce climat, cette mise en image soignée, ce talent pour emballer un récit, raconter une histoire sont ce qui marquent le plus. Ces films sont passionnants. Il n’y avait qu’à voir les réactions pendant et après les projections pour se rendre compte qu’il y a bien un public pour cette nouvelle vague indienne au talent incroyable. On en viendrait presque à se demander pourquoi, malgré la célébration du centenaire indien, tous ces films se sont trouvés relégués un peu à l’écart de la compétition, loin des strass, des paillettes et des projecteurs. Sûr qu’Ugly ou Monsoon Shoutout n’auraient pas déteint à la place du Miike par exemple…

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Adieu Philippines

Deuxième cinématographie émergente à recevoir les honneurs cannois, les Philippines. Trois films présents dans les catégories Un Certain Regard et à la Quinzaine des réalisateurs. Trois réalisateurs (Lav Diaz, Adolfo Alix Jr et Erik Matti) et trois démarches qui marquent. Il y a l’intransigeance artistique de Lav Diaz qui réalise un véritable roman russe, la réflexion sur les corps et la mémoire d’Adolfo Alix Jr et le polar nerveux sur fond social d’Erik Matti. Trident qui représente assez bien la diversité de cette cinématographie, dont nous ne sommes vraiment familiers que grâce à Brillante Mendoza. Là encore, il y a une grosse claque (Norte de Lav Diaz) véritable gemme noire qui nous emmène 4h10 durant dans les tréfonds de l’âme humaine, et une déception (l’esthétisant March of Death de Alix Jr), mais tant d’effervescence, d’expérimentation rassure grandement sur l’état du cinéma mondial. Au vu du nombre de films asiatiques qui se trouvaient en compétition ou non cette année à Cannes et de leur qualité, on ne peut qu’être rassuré sur la créativité et l’audace du cinéma asiatique.

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Là encore, il y a un fourmillement d’idées, malgré quelques maladresses et un vrai talent pour mettre en image. Lav Diaz est un réalisateur confirmé et reconnu (mais pas assez). Derrière sa maîtrise formelle et technique, il y a toujours cette rage, cette révolte. On pourrait le comparer à Sono Sion dans le fond, une sorte de cinéaste punk qui ne cessera de vouloir faire du cinéma comme il l’entend. Ce qui rend son Norte encore plus beau, une sorte de pavé dans la mare, complètement libéré de toutes les conventions. Un geste symbolique, un doigt d’honneur à tous ceux qui dictent les règles.

Dans le sillage d’un Brillante Mendoza, ces cinéastes méritent une plus grande exposition en France et dans le monde. Ce qu’expose le festival renforce peut-être encore plus le principal problème : pourquoi de tels films ne peuvent être visibles qu’en festival ? N’y a-t-il plus de public pour ces cinématographies, à l’heure où nous sommes abreuvés jusqu’à plus soif de productions françaises et américaines, et où un film de Sono Sion sort dans moins de 10 salles ? C’est dire qu’on se sent privilégié quand on se trouve devant de telles productions, assuré ou presque de ne pas les revoir en France (On The Job d’Erik Matti pourrait sortir en DVD).

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Dans le domaine qui nous intéresse, on ne peut qu’être satisfait de ce Festival de Cannes 2013 qui n’a pas été avare en claques (L’image manquante, Norte, le sublime A Touch of Sin) et en bonnes surprises. On saluera l’audace de Steven Spielberg et son jury pour ce palmarès qui met à l’honneur l’Asie (et la France, soyons un peu chauvins). On notera une compétition officielle un peu tiède, sans véritable dominante thématique, avec de grosses erreurs de casting. Des choix toujours un peu dictés par le nom de l’auteur et sa réputation plus que par la qualité intrinsèque du film.

Voilà, il est temps de définitivement fermer le rideau. Même une semaine et demi après le festival, on était encore un peu dedans. On sera là l’année prochaine avec, on l’espère, autant de satisfactions asiatiques et pourquoi pas une consécration suprême.

Jérémy Coifman.

Retrouvez ici notre tableau de la croisette, tous les films de Cannes, sauf Ilo Ilo, par l’équipe d’East Asia

Retrouvez ici les autres carnets de Cannes :

Cannes, jour 1 (jeudi 16 mai 2013) : Train in Vain

Cannes, jour 2 (vendredi 17 mai 2013) : Yellow Submarine

Cannes, jour 3 (samedi 18 mai 2013) : Cannes, sauce curry

Cannes, jour 4 (dimanche 19) : L’enfance de l’art

Cannes, jour 5 (lundi 20 mai 2013) : Straw Dogs

Cannes, jour 6 (mardi 21 mai 2013) : La grande bouffe

Cannes, jour 7 (mercredi 22 mai 2013) : Only Cannes Forgives

Cannes 8 (jeudi 23 mai 2013) : Norte, la fin du festival

Cannes, jour 9 (vendredi 24 mai 2013) : Et le phœnix d’or est attribué à…

Cannes, jour 10 (dimanche 26 mai 2013) : Palmarès asiatique !

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