Carnet de Vesoul, jour 2 et 3

Posté le 16 février 2012 par

Après le compte-rendu de la soirée d’ouverture par Julien Thialon, place au journal quotidien des rédacteurs d’East Asia. Au programme, l’arrivée à Vesoul et les films du mercredi et jeudi !

Les journées d’Anel Dragic

Ah Vesoul ! Ses plages, ses rails de coke, ses femmes en bikini… Excusez-moi, je me trompe d’intro. Ah Vesoul ! Sa départementale, son hôtel formule 1, son « Domac » et son multiplexe. Parmi les festivals consacrés au cinéma asiatique, on ne pourra enlever à celui-ci son caractère familial. D’un côté, les célébrités invitées qui font aussi la queue pour voir des films en compétition, de l’autre, Bastian Meiresonne qui court à droite et à gauche pour aider la veuve et le cinéphile. C’est une expérience à vivre dans une vie de cinéphile ! Retour sur ses 35 dernières heures.

Super Bastian

Je débarque du train. Une fois les affaires posées à l’hôtel, (sans oublier menu Big Mac accompagné d’un petit wrap avalés en passant) direction le cinéma avec une programmation chargée. Premier dilemme : où donner de la tête entre la sélection des longs métrages en compétition, les documentaires, le cycle thématique « Les Brûlures de l’Histoire », l’hommage à Kore-eda Hirokazu, le regard sur le cinéma du Kazakhstan, l’hommage à Trần Anh Hùng, la japanimation et le jeune public ? Que choisir lorsque quatre films sont diffusés simultanément ? Les choix étaient cornéliens, et même si j’avais fait mon planning à l’avance, certains changements se sont faits au dernier moment sur un coup de tête. Ce ne sont donc pas les films tentants qui manquaient.

Commençons par la programmation de mercredi. J’entame avec les prochaines sorties françaises, dont 11 Flowers (2011) de Wang Xiaoshuai. Récit sur l’enfance, regard sur la Chine de la révolution culturelle (le film fait partie intégrante du cycle sur les Brûlures de l’Histoire), le cinéaste livre une œuvre dure et subtile quelque part entre Stand By Me et le cinéma de la sixième génération. J’adhère d’autant plus au film qu’il dégage une sensibilité assez touchante que je n’avais pas revu chez le réalisateur depuis Beijing Bicycle. Pour rester dans la thématique de l’enfance, j’enchaîne alors sur I Wish (2011) de Kore-eda Hirokazu. Film léger, le réalisateur revient à l’un de ses thèmes de prédilection : la famille, ici séparée.  D’une douceur amère, mais jamais brusque, on se demande comment le film a pu ne pas être présenté à Kinotayo. On tombera malgré tout facilement sous le charme de cette fable d’un naturel assez saisissant. Pour finir la journée, en avant pour Dance Town (2010), dernier volet de la trilogie Town, qui fait partie de la compétition longs métrages. Le film et son ballet dérangeant offrent, quoiqu’en dise son auteur Jeon Kyu-Hwan, une vision politisée des rapports entre la Corée du Nord et du Sud, ainsi qu’une œuvre troublante sur les fêlures de chacun. Suivait un échange avec le public et l’acteur Oh Seong-tae se prêta admirablement bien au jeu des questions-réponses. Une fois la séance levée, direction l’hôtel pour un repos bien mérité.

Jeudi matin. Le soleil vient de se lever, Jérémy vient de me réveiller, encore une belle journée pour l’ami festivalier. On commence dès le matin avec Shanghai Dreams (2005) de Wang Xiaoshuai, l’occasion de revoir sur grand écran le prix du jury du Festival de Cannes 2005 et deuxième film du réalisateur projeté dans le cadre des Brûlures de l’Histoire. Traitant une fois encore de la révolution culturelle, Wang s’intéresse aux familles déracinées des villes pour aller travailler aux usines délocalisées dans les campagnes afin de former une troisième ligne de défense face à l’Union soviétique. Sans trop revenir sur ce film sur lequel beaucoup a déjà été dit, notons qu’il s’agit à l’instar de 11 Flowers d’un film fortement inspiré par l’enfance du réalisateur, et donc en partie autobiographique. Juste après, I Wanted to Be Japanese (1992) documentaire signé Kore-eda Hirokazu, s’intéresse au cas de Park, coréen enrôlé de force dans l’armée japonaise au moment de la guerre, rejeté par la société japonaise par la suite et incapable de trouver sa place dans celle-ci. Ni totalement japonais et plus tout à fait coréen, Kore-eda laisse entrevoir un cas passionnant de crise identitaire ainsi qu’une critique sociale acerbe du Japon des années 90. Bref et direct, le documentaire ne tourne pas autour du pot et pointe de manière presque frontale une forme de ségrégation qui préoccupe la société japonaise.

Après le Kore-eda, j’enchaîne coup sur coup deux films d’Abdulla Karsakbaev : On m’appelle Koja (1963) premier film du réalisateur et classique du film pour enfants kazakhs s’avère particulièrement attachant, dépeignant les péripéties d’un jeune garnement. Pour sa touche rétro et son humour enfantin, on pense à la série live Fifi Brindacier qui a bercé la jeunesse de certains d’entre nous. Drôle et rythmé, le film se savoure comme un bonbon entre deux films bobines plus sérieuses. Suivait Matinée agitée (1966), un « eastern » (équivalent oriental du western) beaucoup plus sérieux cette fois, suivant un bolchévique en conflit avec un propriétaire. La confrontation entre les deux hommes deviendra le terrain d’une épopée à la tension croissante. D’une beauté plastique à couper le souffle, le film fait également preuve d’une propension à filmer les grands espaces qui n’a rien à envier à John Ford.

Après le film, et un détour pour faire quelques courses (la zone du festival n’a plus grand-chose à offrir après 23h, faites vos provisions !!), la journée se termine sur August Drizzle (2011), film du sri lankais Aruna Jayawardana sur la vie, la mort, l’amour et la solitude autour d’un personnage de femme qui prépare les corps dans un office de pompes funèbres. Le seul reproche que je fais au film (et c’est certainement voulu, donc j’insiste sur le fait que cela n’engage que moi), est le manque de vie de l’ensemble et donc d’implication (à la fois émotionnel et intellectuel) de ma part pendant le visionnage. En dehors de ça, il y a malgré tout de belles choses. Il convient donc d’être d’humeur pour apprécier cette œuvre posée qui échapperait au spectateur si celui-ci ne la saisissait pas à bras le corps. Espérons juste qu’il y ait moins de films traitant de sujets graves par la suite…

Anel Dragic.

Premier contact par Jeremy Coifman

Clint Eastwood : « Je ferai Iwo Jima 2, juste pour venir à Vesoul. »

Nous voilà arrivé à Vesoul, après trois heures de train, des débats sur Clint Eastwood, Steven Spielberg ou Michael Mann, et un peu de préparation quand même. On découvre les lieux, ces routes gelées, ses rues vides, puis un drôle de panorama s’offre à nous : nous sommes arrivés sur le lieu du festival. On est loin du strass et des paillettes, mais l’intérêt et le plaisir se trouveront ailleurs à n’en pas douter.

Premier contact, Bastian Meiresonne est déjà là pour nous accueillir, plus motivé que jamais. À peine arrivés, il est déjà temps de profiter de notre première séance. Ce sera 11 Flowers (2011) de Wang XiaoShuai, joli film autobiographique sur son enfance dans un petit village de Chine pendant la révolution culturelle. Même s’il manque parfois un petit quelque chose pour en faire un grand film, il réserve tout de même des moments magnifiques. Dans sa description de ce petit groupe d’enfants, on pense aux Mistons de François Truffaut, et c’est la partie la plus réussie du film. Puis il y a cette scène, sublime, où le père explique ce qu’est l’impressionnisme à son fils, dans un magnifique clair-obscur.

Pas le temps de souffler, une petite séance documentaire est à nos portes. Grande déception pour le documentaire danois sur Aung Sang Suu Kyi d’Anne Gyrithe Bonne, qui, avec la même approche que le film de Luc Besson, rate complètement sa cible. C’est avant tout un beau ratage esthétique, à grands coups de split screen et gros plans du plus mauvais effet. Pourtant avec un sujet si fédérateur, on attendait autre chose. Par contre, le deuxième documentaire est un beau moment. Le Marché de l’amour de Philippe Rostan est une belle leçon de tolérance et un magnifique portrait de tribus vietnamiennes vouées à disparaître. On sourit souvent, on est parfois outré, mais, quoi qu’il en soit, on est impliqué et c’est la preuve que ce documentaire fait mouche.

Un peu (beaucoup) vannés par tant de films et de réflexion (si si, on réfléchit chez East Asia), un drame social coréen vient clôturer notre première journée : Dance Town de Jeon Kyu-hwan. Meilleur  film de la journée, le film nous happe dans une ambiance froide et brutale, où l’image de la Corée du Sud est quelque peu égratinée. Un film qui n’aurait pas démérité figurer dans la sélection du FFCF, tant les thèmes abordés (la solitude, l’éducation, les relations hommes/femmes) sont proches de la plupart des films sélectionnés cette année. Une petite table ronde autour d’un verre pour finir la journée, c’est agréable. La fatigue disparaît peu à peu quand on commence à parler cinéma. Les débats enflammés reprennent, on parle de Christophe Lambert, Sushi Typhoon et de Kore-Eda entre autres. Bastian nous rejoint, comme toujours sa passion fait plaisir à voir. 2h du matin, il est temps de dormir, demain c’est reparti pour un tour, et Dieu que c’est bon.

Jour 3 : sous le signe du Kazakhstan

Journée toujours aussi chargée mais qui s’annonce sous les meilleurs auspices : un documentaire français, deux films kazakhs et un drame sri lankais.

Inconnu, présumé Français de Philippe Rostan est un film déchirant sur des enfants vietnamiens, nés de liaisons de femmes vietnamiennes avec des soldats français. Présenté dans sa version longue (1h30), on ne peut rester insensible face aux histoires de ces enfants devenus adultes mais recherchant toujours des réponses quant à leur identité. Philippe Rostan était là pour répondre aux questions des spectateurs, toujours disponible et passionné, un personnage assez attachant.

Notre après-midi sera totalement kazakh. D’abord avec On m’appelle Koja, comédie de 1966, grand classique populaire. Première bonne surprise, le film est très drôle et attachant. L’enfant gaffeur, qui fait beaucoup pensé au petit Gibus de la guerre des boutons est l’atout majeur du film. Le deuxième long métrage Matinée agitée, est une encore plus grande réussite. Un « eastern », hymne au grand espace, invoquant parfois Kurosawa. Esthétiquement, le film est vraiment superbe, jouant sur le paysage magnifique du Kazakhstan.

Dernier film du jour, August Drizzle, sensuel film sri lankais à la photographie captivante. Il s’en dégage une puissance hypnotique, teinté d’un humour absurde. Je suis un des seuls de la rédaction à être tombé sous le charme du film, mais je n’en démordrai pas, ce film a quelque chose d’envoûtant.

Jérémy Coifman.

Journées agitées. Par Victor Lopez.

Les alentours de la gare, digne d’un paysage de film kazakh, donnent le ton : si on est venu à Vesoul, c’est pour le cinéma, et rien d’autre ! Le Majestic, où se tiennent les projections du FICA, se dresse fièrement au milieu de nulle part, éclairant de ses lumières mouvantes les départementales avoisinantes que le festivalier a écumées pour parvenir à ce qui devient le poumon culturel de la ville durant une semaine. Car si le FICA se tient maintenant loin du centre, dans un multiplexe plus habitué à voir des mangeurs de popcorns se goinfrer devant du Michael Bay que des curieux cinéphiles dévoreurs de raretés asiatiques, ceux que l’on nomme les ancêtres du FICA, qui en sont à leur 18ème année, se souviennent d’une époque où le festival se tenait au centre-ville.

Ce décentrement, s’il offre un nouveau type d’inquiétude (celui dit de « l’estomac affamé », qui force le festivalier sans sous à se ruer à l’issue de l’ultime séance aux portes de l’unique McDonald’s, pourvoyeur de Wifi et de malbouffe pour petit budget, pour finalement se retrouver in fine devant un néon en forme de M déjà éteint et errer dans la nuit à la recherche de nourriture), a l’avantage de concentrer, faute d’autres distractions que celles offertes par le festival, sur l’essentiel. Rencontres conviviales à la Bambouseraie (mini chapiteau où l’on trouve des bon petits plats le midi, et Bastian Meiresonne faisant le soir des tests de DJ pour les fêtes que l’on annonce folles ce week-end), débats cinéphiliques, et surtout visionnage intensif de films que l’on n’aura que rarement l’occasion de voir ailleurs.

On dit cela, mais l’on commence tout de même avec une avant-première, que l’on reverra plus calmement à Deauville avant sa sortie en salles dans quelques semaines : 11 Flowers. Le film, qui se base sur des éléments autobiographiques de Wang Xiaoshuan, son réalisateur, entre malicieusement en résonnance avec I Wish de Kore-eda Hirokazu, dans sa description naturaliste du monde de l’enfance. Les époques et les pays ne sont pas identiques, mais on remarque dans les deux œuvres la même aspiration à retrouver l’état de candeur propre à la fin de l’enfance. Cependant, si le dernier film du réalisateur de Still Walking grandit en nous de bien belle manière, 11 Flowers se fane à l’inverse bien vite dans notre mémoire. La faute à un manque de rythme et à quelques longueurs, qui, sans pour autant ennuyer le spectateur, rendent comme indifférent l’histoire contée.

La première fiction en compétition vient heureusement rattraper cette impression d’anecdotique qui se dégage de 11 Flowers et du documentaire sur Aung San Suu Kyi vu juste avant. Dance Town, du coréen Jeon Kyu-hwan, dresse avec peu de moyen et l’âpreté d’un réalisme sans concession, un portrait tragique de la solitude urbaine. En prenant le prétexte de l’arrivée d’une immigrée nord-coréenne à Séoul, le métrage présente une galerie de portraits souvent touchants, parfois durs, toujours justes, de personnages brisés par la vie. La misère affective décrite par le film entre en résonnance avec celle sociale des travailleurs du documentaire chinois Heavy Metal de Huaqing Jin, consacré à quelques travailleurs d’une déchèterie recyclant des métaux électroniques et ses poussières, qui, inhalées quotidiennement, induisent des conséquences dramatiques sur la santé.

Mais les portraits n’ont pas toujours un goût de tristesse, et Philipe Rostant, grâce au Marché de l’amour, est venu un peu éclairé la grisaille qui se dégage des films sélectionnés. En s’intéressant aux coutumes des ethnies Hmongs et Daos, il livre un film joyeux sur la pérénité de traditions culturelles. Las, le constat est finalement loin d’être aussi joyeux que les intervenants animant le film. La modernité, le tourisme et l’Etat vietnamien auront sans doute vite fait d’assimiler et de faire disparaître ces cultures. C’est en tout cas d’un œil affuté que l’on découvre derrière la caméra ce documentariste, qui vient confirmer le très touchant, personnel et sincère Inconnu, présumé Français, dont le festival nous a offert une version longue.

Mais la journée du jeudi fut surtout illuminé par mon premier film kazakh du festival : Matinée agitée, tourné en 1966, et qui n’a pas à rougir des neo-westerns italiens ou américains de Pechinpah, avec ses anti-héros patibulaires et sa flegme poussiéreuse, cachant une vraie critique politique. À côté, le film sri lankais de la sélection, Auguste Drizzle, semble être d’une triste platitude. Mais peut-être est-ce l’abus de Big Mac qui rend l’œuvre et ses personnages plus antipathiques qu’ils ne le sont. En attendant, les deux premiers jours du festival se ferment sur une séance nocturne de préparations d’entretiens. Au programme de la journée de demain : Kore-eda, Trần Anh Hùng, Philipe Rostant, et Oh Seong-ta, l’acteur de Dance Town.

See you, space cowboys !

Victor Lopez.

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